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Et alors, l’une après l’autre, les deux filles revenaient, prenaient la clef sous le paillasson, remettaient l’outil en place quand l’une d’elles n’était pas rentrée. — Seulement la mère Teston, qui fermait les yeux sur ces escapades, les traita, un jour, de fichues bêtes parce que, dans leur hâte à déguerpir, elles ne se nourrissaient plus que de charcuterie, et, en guise de soupe grasse, faisaient tremper de vieilles croûtes dans les jattes d’un bouillon fabriqué chez le crémier du coin.

— Vous vous ferez un joli estomac ! leur disait-elle, — mais les deux enragées répondaient qu’elles le verraient bien. Leur système était pour le moins commode. On laissait le jambonneau ou la hure, dans son papier, et cela faisait une assiette de moins à laver. Un coup de torchon sur la table et l’on en était quitte ; et puis, comme Céline le soutenait avec une ténacité diabolique, elles ne mangeaient pas seulement du veau piqué et du fromage d’Italie ; la friture installée chez le père l’Auvergne, à deux pas de là, leur fournissait à très bon compte des limandes sautées dans la poêle et des moules baignant dans une sauce blanche. À couteaux tirés pour tout le reste, les deux sœurs s’entendaient admirablement pour éviter les apprêts de la cuisine, la fatigue des nettoyages.