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cadé des voitures sautant sur les plaques tournantes.

Des hommes se mouvaient confusément sur la route laissée libre par le passage du train ; le fil des signaux grinça ; une tache de sang troua la sombreur du ciel, abritant la voie interdite ; les barrières se rouvrirent, les haquets passèrent.

Anatole réfléchissait. Il avait presque perverti une petite fille d’un atelier voisin. C’était un pauvre être qui boitait et allumait de grands yeux dolents dans une face souffreteuse et pâle ; elle était demeurée sage peut-être parce que personne n’avait voulu d’elle ; c’était, dans tous les cas, une très habile ouvrière qui gagnait de bonnes journées et soutenait sa mère restée veuve, et souvent malade. Anatole pensait avec raison que cette jeunesse devait être aimante, et qu’elle ne lui refuserait point l’argent nécessaire pour boire à sa santé des canettes de bière aigre. Il n’avait donc pas été désolé de voir Céline cabrioler du regard avec un autre ; maintenant qu’il avait pillé ses économies, elle pouvait bien aller se faire lanlaire, si bon lui semblait !

Il était, avec cela, dans les meilleures dispositions, ce soir-là ! Il s’était humecté comme un liège, il avait une douceur d’ivresse qui le rendait aimable et pas hargneux, et il était très content de lui, se croyait irrésistible, se donnait des