Page:Huysmans - Le Drageoir aux épices, 1921.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

éclatent de tous côtés, on crie : bis, on frappe des pieds, l’orchestre rejoue les premières mesures de la chanson, et le ténor reparaît, s’incline et dégouzille, de son fausset le plus aigu, le couplet de la chanson le plus poivré de chauvinisme ; puis il s’incline de nouveau et se sauve poursuivi par de bruyantes acclamations. Les cris s’éteignent peu à peu, les musiciens causent et s’essuient les mains, et moi j’admire, posée devant moi sur un corps de déjeté, la figure enluminée d’un vieil ivrogne. Quelle richesse de ton ! quel superbe coloris ! Cet homme appartenait évidemment à l’aristocratie des biberons, car il écartelait de gueules sur champ de sable, et ce n’était assurément pas avec du vermillon et du noir de pêche qu’il s’était blasonné le mufle, mais bien avec la fine fleur du vin et le pur hâle de la crasse.