Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée

que l’homme a trouvé dans les bois l’aspect si discuté des nefs et de l’ogive. La plus étonnante cathédrale que la nature ait, elle-même, bâtie, en y prodiguant l’arc brisé de ses branches, est à Jumièges. Là, près des ruines magnifiques de l’abbaye qui a gardé intactes ses deux tours et dont le vaisseau décoiffé et pavé de fleurs rejoint un chœur de frondaisons cerclé par une abside d’arbres, trois immenses allées, plantées de troncs séculaires, s’étendent en ligne droite ; l’une, celle du milieu, très large, les deux autres, qui la longent, plus étroites ; elles dessinent la très exacte image d’une nef et de ses bas-côtés, soutenus par des piliers noirs et voûtés par des faisceaux de feuilles. L’ogive y est nettement feinte par les ramures qui se rejoignent, de même que les colonnes qui la supportent sont imitées par les grands troncs. Il faut voir cela, l’hiver, avec la voûte arquée et poudrée de neige, les piliers blancs tels que des fûts de bouleaux, pour comprendre l’idée première, la semence d’art qu’a pu faire lever le spectacle de semblables avenues, dans l’âme des architectes qui dégrossirent, peu à peu, le Roman et finirent par substituer complètement l’arc pointu à l’arche ronde du plein-cintre.

Et il n’est point de parcs, qu’ils soient plus ou moins anciens que le bois de Jumièges, qui ne reproduisent avec autant d’exactitude les mêmes contours ; mais ce que la nature ne pouvait donner c’était l’art prodigieux, la science symbolique profonde, la mystique éperdue et placide des croyants qui édifièrent les cathédrales. — Sans eux, l’église restée à l’état brut, telle que la nature la conçut, n’était qu’une ébauche sans âme, un rudiment ; elle était l’embryon d’une basilique, se métamorphosant,