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Le tohu-bohu de ces êtres subitement réveillés, jetés, tels que des hiboux en plein jour, tremblant de peur et de joie, dès qu’ils se reconnaissent et comprennent que l’heure du Jugement est venue, est exprimé avec une autorité, une verve, une acuité d’observation qui laissent loin derrière elles les minimes remarques et le modique entrain du sculpteur de la Beauce.

Et, dans le compartiment au-dessus, le pèsement des âmes se déroule, magnifique, avec le saint Michel, aux ailes déployées, tenant une lourde balance et caressant, en souriant, un enfant qui croise les mains, tandis qu’un diable à tête de bouc et à rictus de faune, armé d’une fourche, le guette, prêt à s’en emparer si l’archange le quitte ; et, derrière ce démon qui s’attarde, commence le lamentable défilé des ouailles. Ici, ce n’est plus la courtoisie infernale gardée à Chartres, les vagues égards d’un esprit du Mal, poussant doucement devant lui une moniale, mais bien la brutalité, dans toute son horreur, l’ignoble violence ; le côté parfois comique de ce genre de rixes n’est plus. A Bourges, les servants du Très-Bas travaillent pour de bon et cognent ; ici, un diable, au mufle de fauve, dont le ventre bedonnant est une trogne, frappe le crâne d’un malheureux qui se débat, en grinçant des dents, et lui mord les jambes avec sa queue dont l’extrémité s’ouvre en mâchoire de serpent ; là, un autre bourreau hirsute et cornu, arrache à un damné une oreille avec un croc ; là encore, un autre monstre à la face camuse, aux tétines en pendeloques, au bas ventre occupé par un masque d’homme, aux ailes soudées à la chute des reins, empoigne à pleins bras un religieux et le précipite, la tête la première, dans un chaudron qui bout