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provisoire ; je savais, en y allant, que je n’y permanerais point ; c’était un moment pénible à supporter, mais ce n’était qu’un moment, tandis qu’il s’agit, à l’heure actuelle, d’une détermination sans retour, d’un lieu où, si je m’y incarcère, ce sera jusqu’à la mort ; c’est la condamnation à perpétuité, sans remise de peine, sans décret de grâce ; et il en parle, ainsi que d’une chose simple, l’abbé !

Que faire ? Renoncer à toute liberté, n’être plus qu’une machine, qu’une chose entre les mains d’un homme que l’on ne connaît point, mon Dieu, je le veux bien ! mais il y a des questions plus gênantes que celle-là pour moi ; d’abord, celle de la littérature ; ne plus écrire, renoncer à ce qui fut l’occupation et le but de ma vie ; c’est douloureux, et cependant j’accepterais ce sacrifice, mais… mais écrire et voir sa langue épluchée, lavée à l’eau de pompe, décolorée par un autre qui peut être un savant et un saint mais n’avoir, de même que saint Jean de la Croix, aucun sentiment de l’art, c’est vraiment dur ! Les idées, je comprends bien qu’au point de vue théologique, on vous les monde, rien de plus juste ; mais le style ! Et, dans un monastère, autant que je puis le savoir, rien ne s’imprime sans que l’Abbé l’ait lu et il a le droit de tout réviser, de tout changer, de tout supprimer, s’il lui plaît. Il vaudrait évidemment mieux ne plus écrire, mais là encore, le choix n’est pas permis, puisqu’il faut s’incliner, au nom de l’obéissance, devant un ordre, traiter tel ou tel sujet, de telle ou telle façon, selon que l’Abbé l’exige.

A moins de tomber sur un maître exceptionnel quelle pierre d’achoppement ! Puis, en sus de cette