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l’âme de ces multitudes fût admirable, car ce labeur si pénible, si humble, de gâcheur de plâtre et de charretier, fut considéré par chacun, noble ou vilain, ainsi qu’un acte d’abnégation et de pénitence, et aussi comme un honneur ; et personne ne fut assez téméraire pour toucher aux matériaux de la Vierge, avant de s’être réconcilié avec ses ennemis, et confessé. Ceux qui hésitèrent à réparer leurs torts, à s’approcher des sacrements, furent enlevés des traits, chassés tels que des êtres immondes, par leurs compagnons, par leur famille même.

Dès l’aube, chaque jour, la besogne indiquée par les contre-maîtres s’opère. Les uns creusent les fondations, déblaient les ruines, dispersent les décombres, les autres se transportent en masse aux carrières de Berchère-l’Evêque, à huit kilomètes de Chartres, et là, ils descellent des blocs énormes de pierre, si lourds que parfois un millier d’ouvriers ne suffisait pas pour les extraire de leurs lits et les hisser jusqu’au sommet de la colline sur laquelle devait planer la future Eglise.

Et quand, éreintés, moulus, ces troupeaux silencieux s’arrêtent, alors on entend monter les prières et le chant des psaumes ; d’aucuns gémissent sur leurs péchés, implorent la compassion de Notre-Dame, se frappent la poitrine, sanglotent dans les bras des prêtres qui les consolent.

Le dimanche, des processions se déroulent, bannière en tête, et le hourra des cantiques souffle dans les rues de feu que tracent, au loin, les cierges ; les heures canoniales sont écoutées à genoux, par tout un peuple, les reliques sont présentées en grande pompe, aux malades…