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On conçoit certains détails de l’abbesse d’Agréda qui la déclare exempte des souillures infligées aux femmes ; l’on comprend saint Thomas avérant que sa beauté clarifiait, au lieu de les troubler, les sens.

Elle est sans âge ; ce n’est pas une femme et ce n’est déjà plus une enfant. Et l’on ne sait même si Elle est une adolescente, à peine nubile, une fillette, tant elle est sublimée, au-dessus de l’humanité, hors le monde, exquise de pureté, à jamais chaste !

Elle demeure sans rapprochement possible dans la peinture. Les autres Madones sont, en face d’Elle, vulgaires ; elles sont, en tout cas, femmes ; Elle seule est bien la blanche tige du blé divin, du froment eucharistique ; Elle seule est bien l’Immaculée, la « Regina Virginum » des Litanies, et Elle est si jeune, si ingénue, que le Fils semble couronner, avant même qu’Elle ne l’ait conçu, sa Mère !

Et c’est là vraiment qu’éclate le génie surhumain du doux moine. Il a peint comme d’autres ont parlé, sous l’inspiration de la grâce ; il a peint ce qu’il voyait en lui, de même que sainte Angèle de Foligno a raconté ce qu’elle entendait en elle. Ils étaient, l’un et l’autre, des mystiques fondus en Dieu ; aussi la peinture de l’Angelico est-elle une peinture du Saint-Esprit, blutée au travers d’un tamis épuré d’art.

Et si l’on y réfléchit, cette âme est plutôt celle d’une Sainte que celle d’un Saint ; que l’on se reporte, en effet, à ses autres tableaux, à ceux, par exemple, où il voulut rendre la Passion du Christ ; l’on ne se trouve plus en face des tumultueuses pages d’un Metsys ou d’un Gründwald ; il n’a ni leur âpre virilité, ni leur sombre énergie,