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en de fines gerbes, si frêles qu’on s’attendait à les voir plier, au moindre souffle ; et ce n’était qu’à des hauteurs vertigineuses que ces tige se courbaient, se rejoignaient lancées d’un bout de la Cathédrale à l’autre, au-dessus du vide, se greffaient, confondant leur sève, finissant par s’épanouir ainsi qu’en une corbeille dans les fleurs dédorées des clefs de voûte.

Cette Basilique, elle était le suprême effort de la matière cherchant à s’alléger, rejetant, tel qu’un lest, le poids aminci de ses murs, les remplaçant par une substance moins pesante et plus lucide, substituant à l’opacité de ses pierres l’épiderme diaphane des vitres.

Elle se spiritualisait, se faisait toute âme, toute prière, lorsqu’elle s’élançait vers le Seigneur pour le rejoindre ; légère et gracile, presque impondérable, elle était l’expression la plus magnifique de la beauté qui s’évade de sa gangue terrestre, de la beauté qui se séraphise. Elle était grêle et pâle comme ces Vierges de Roger Van der Weyden qui sont si filiformes, si fluettes, qu’elles s’envoleraient si elles n’étaient en quelque sorte retenues ici-bas par le poids de leurs brocarts et de leurs traînes. C’était la même conception mystique d’un corps fuselé, tout en longueur, et d’une âme ardente qui, ne pouvant se débarrasser complètement de ce corps, tentait de l’épurer, en le réduisant, en l’amenuisant, en le rendant presque fluide.

Elle stupéfiait avec l’essor éperdu de ses voûtes et la folle splendeur de ses vitres. Le temps était couvert et cependant toute une fournaise de pierreries brûlait dans les lames des ogives, dans les sphères embrasées des roses.