Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée


L’idée que son cadavre pourrira inutile, que les dernières pelletées de sa triste chair disparaîtront sans avoir servi à honorer le Sauveur, la désole et c’est alors qu’elle le supplie de lui permettre de se dissoudre, de se liquéfier en une huile qui pourra se consumer, devant le tabernacle, dans la lampe du sanctuaire.

Et Jésus lui accorde ce privilège exorbitant, tel qu’il n’en est point dans les annales des vies de Saints ; aussi, au moment d’expirer, exige-t-elle de ses filles que sa dépouille qui doit être exposée, selon l’usage, dans la chapelle ne sera pas enterrée avant plusieurs semaines.

Ici les pièces authentiques abondent ; les enquêtes les plus minutieuses ont eu lieu ; les rapports des médecins sont si précis que nous constatons, jour par jour, l’état du corps, jusqu’à ce qu’il tourne en huile et puisse remplir les flacons dont on versait, suivant son désir, une cuillerée chaque matin, dans la veilleuse pendue près de l’autel.

Quand elle mourut — elle avait alors plus de 52 ans dont 33 passés dans la vie religieuse et 14 dans le Prieuré d’Oirschot — son visage se transfigura et malgré le froid d’un hiver si rude que l’on put franchir l’Escaut en voiture, le corps se conserva souple et flexible, mais il gonfla. Les chirurgiens l’examinèrent et l’ouvrirent devant témoins. Ils s’attendaient à trouver le ventre bondé d’eau, mais il s’en échappa à peine la valeur d’une demi-pinte et le cadavre ne désenfla point.

Cette autopsie révéla l’incompréhensible découverte, dans la vésicule du fiel, de trois clous, à têtes noires, anguleuses, polies, d’une matière inconnue ; deux pesaient le poids d’un demi-écu d’or de France moins sept grains