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Et ce qui était non moins atterrant que la monstrueuse profondeur de ces gouffres, c’était, lorsqu’on relevait la tête, la vue de l’assaut furieux, exaspéré, des pics. On était positivement, dans cette voiture, entre le ciel et la terre, et le sol sur lequel on roulait demeurait invisible, occupé qu’il était, dans toute sa largeur, par les parois du train.

On filait, suspendu en l’air, à des hauteurs vertigineuses, sur d’interminables balcons, sans balustrades ; et au-dessous, les falaises dévalaient en avalanche, tombaient abruptes, nues, sans une végétation, sans un arbre ; par endroits, elles paraissaient fendues à coups de haches dans d’immenses amas de bois pétrifié ; par d’autres, coupées dans des blocs exfoliés d’ardoises.

Et tout autour, un cirque s’ouvrait de montagnes sans fin, couvrant le ciel, se superposant, les unes sur les autres, barrant le passage des nuées, arrêtant la marche en avant du ciel.

Les unes figuraient assez bien, avec leurs crêtes rugueuses et grises, des tas géants de coquilles d’huîtres ; d’autres, dont les cimes bouillonnaient comme des pyramides grillées de coke, verdoyaient jusqu’à mi-corps. Elles étaient hérissées de forêts de sapins qui débordaient sur l’abîme et elles étaient aussi écartelées de croix blanches par des routes, parsemées, çà et là, de joujoux de Nuremberg, de villages à toits rouges, de bergeries prêtes à piquer une tête, en bas, tenant on ne sait comment en équilibre, jetées à la débandade sur des morceaux de tapis verts collés aux flancs des rampes ; et d’autres se dressaient encore, pareilles à de gigantesques meules calcinées, à des cratères mal éteints, couvant encore