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là par toute la France, s’écoule par les frontières, s’épand dans l’Europe, finit par franchir les mers, par aborder le Nouveau Monde qui s’ébranle à son tour et se rend, lui aussi, dans ce désert pour acclamer la Vierge.

Et les conditions imposées à ces pèlerinages étaient telles, qu’elles eussent dû décourager les volontés les plus tenaces. Avant d’atteindre l’hôtellerie perchée près de l’église, il faut, pendant des heures, subir les roulements paresseux des trains, endurer des changements répétés de lignes, supporter des journées de diligences, dormir la nuit dans les haras de puces des auberges ; et, après que l’on s’est râpé le dos sur le peigne à carder d’invraisemblables lits, il faut encore, dès l’aube, commencer de folles ascensions, à pied ou à dos de mulets, dans des chemins en zigzag, au-dessus d’abîmes ; enfin, une fois arrivé, il n’y a plus ni sapins, ni hêtres, ni prairies, ni torrents ; il n’y a plus rien, sinon la solitude absolue, le silence que ne troublent même point les cris des oiseaux, car, à cette hauteur, les oiseaux ne viennent plus !

Quel paysage ! ruminait Durtal, évoquant le souvenir d’un voyage qu’il avait fait depuis son retour de la Trappe avec l’abbé Gévresin et sa gouvernante. Il se rappelait l’effroi du site qu’il avait traversé entre Saint-Georges de Commiers et La Mure, son effarement en wagon lorsque le train passait lentement au-dessus des gouffres.

En bas, c’était la nuit descendant en spirales dans d’immenses puits ; en haut, c’étaient, à perte de vue, des groupes de montagnes escaladant le ciel.

Le train montait, en soufflant, tournant sur lui-même tel qu’une toupie, descendait dans des tunnels, s’en-