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Et Elle apparut telle que la Madone des Pleurs dans ce paysage désert, sur ces rocs têtus, sur ces monts tristes. Elle avait, en sanglotant, proféré des reproches et des menaces, et une fontaine qui ne jaillissait, de mémoire d’homme, qu’à la fonte des neiges, avait coulé sans interruption depuis.

Le retentissement de cet acte fut immense ; des multitudes éperdues grimpèrent par d’effrayants sentiers jusqu’à ces régions si élevées que les arbres ne poussaient plus. On convoya, Dieu sait comme, au-dessus des gouffres, des caravanes d’infirmes et de moribonds qui burent de cette eau et les membres estropiés se redressèrent et les tumeurs fondirent au chant des psaumes.

Puis, peu à peu, lentement, après les obscurs débats d’un odieux procès, la vogue de La Salette décrut ; les pèlerinages s’espacèrent ; les miracles s’affirmèrent de plus en plus rares. Il sembla que la Vierge fût partie, qu’Elle se désintéressât de cette source de pitié, de ces monts.

À l’heure actuelle, ce ne sont plus guère que des gens du Dauphiné, que des touristes égarés dans les Alpes ; que des malades venus pour se soigner aux sources minérales voisines de la Mothe, qui font l’ascension de La Salette ; les conversions, les grâces spirituelles y abondent encore, mais les guérisons corporelles y sont à peu près nulles.

En somme, se dit Durtal, l’apparition de La Salette est devenue célèbre, sans que l’on ait jamais su comment, au juste. On peut se l’imaginer, du moins, ainsi : la rumeur, d’abord localisée dans le village de Corps, situé au bas de la montagne, pénètre dans tout le département, gagne les provinces des alentours, s’infiltre de