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avec lui, dans ses voyages ; il s’était attaché un peintre nommé Thomas qui les enluminait de lettres ornées et de miniatures, tandis que lui-même peignait des émaux qu’un spécialiste, découvert à grand’peine, enchâssait dans les plats orfévris de ses reliures. Ses goûts d’ameublement étaient solennels et bizarres ; il se pâmait devant les étoffes abbatiales, devant les soies voluptueuses, devant les ténèbres dorées des vieux brocarts. Il aimait les repas studieusement épicés, les vins ardents, assombris par les aromates ; il rêvait de bijoux insolites, de métaux effarants, de pierres folles. Il était le Des Esseintes du xve siècle !

Tout cela coûtait cher, moins pourtant que cette fastueuse cour qui l’entourait à Tiffauges et faisait de cette forteresse un lieu unique.

Il avait une garde de plus de deux cents hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, et tous ces gens avaient, eux-mêmes, des serviteurs magnifiquement équipés aux frais de Gilles. Le luxe de sa chapelle et de sa collégiale tournait positivement à la démence. À Tiffauges, résidait tout le clergé d’une métropole, doyen, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs et diacres, écolâtres et enfants de chœur ; le compte nous est resté des surplis, des étoles, des aumusses, des chapeaux de chœur de fin-gris doublé de menu vair. Les ornements sacerdotaux foisonnent ; ici, l’on rencontre des pare-