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de ses biographes, qu’il voulait tenter de sauver Jeanne d’Arc, il y a loin !

Toujours est-il qu’après avoir perdu ses traces nous le retrouvons enfermé, à vingt-six ans, dans le château de Tiffauges.

La vieille culotte de fer, le soudard qui étaient en lui disparaissent. En même temps que les méfaits vont commencer, l’artiste et le lettré se développent en Gilles, s’extravasent, l’incitent même, sous l’impulsion d’un mysticisme qui se retourne, aux plus savantes des cruautés, aux plus délicats des crimes.

Car il est presque isolé dans son temps, ce baron de Rais ! Alors que ses pairs sont de simples brutes, lui, veut des raffinements éperdus d’art, rêve de littérature térébrante et lointaine, compose même un traité sur l’art d’évoquer les démons, adore la musique d’église, ne veut s’entourer que d’objets introuvables, que de choses rares.

Il était latiniste érudit, causeur spirituel, ami généreux et sûr. Il possédait une bibliothèque extraordinaire pour ce temps où la lecture se confine dans la théologie et les vies de Saints. Nous avons la description de quelques-uns de ses manuscrits : Suétone, Valère-Maxime, d’un Ovide sur parchemin, couvert de cuir rouge avec fermoir de vermeil et clef.

Ces livres, il en raffolait, les emportait, partout,