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le plus riche des barons de France, chez un roi pauvre.

À ce moment, en effet, Charles VII est aux abois ; il est sans argent, dénué de prestige et son autorité reste nulle ; c’est à peine si les villes qui longent la Loire lui obéissent ; la situation de la France, exténuée par les massacres, déjà ravagée, quelques années auparavant, par la peste, est horrible. Elle est scarifiée jusqu’au sang, vidée jusqu’aux moelles par l’Angleterre qui, semblable à ce poulpe fabuleux, le Kraken, émerge de la mer et lance, au-dessus du détroit, sur la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l’Île-de-france, tout le Nord, le Centre jusqu’à Orléans, ses tentacules dont les ventouses ne laissent plus, en se soulevant, que des villes taries, que des campagnes mortes.

Les appels de Charles réclamant des subsides, inventant des exactions, pressant l’impôt, sont inutiles. Les cités saccagées, les champs abandonnés et peuplés de loups ne peuvent secourir un Roi dont la légitimité même est douteuse. Il s’éplore, gueuse à la ronde, vainement, des sous. À Chinon, dans sa petite cour, c’est un réseau d’intrigues que dénouent, çà et là, des meurtres. Las d’être traqués, vaguement à l’abri derrière la Loire, Charles et ses partisans finissent par se consoler, dans d’exubérantes débauches, des désastres qui se rapprochent ; dans cette royauté au jour le jour, alors que des