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— Bavard, lui dit sa femme, laisse donc Monsieur s’asseoir. — Et elle tendit un verre plein à Durtal qui savoura le pétillement parfumé d’un véritable cidre.

En réponse à ses compliments sur la valeur de ce breuvage, elle lui raconta que ce cidre venait de Bretagne, qu’il était fabriqué à Landévennec, leur pays, par des parents.

Elle fut ravie quand Durtal lui affirma qu’il avait jadis passé une journée dans ce village.

— Oh bien, nous sommes vraiment connaissances, conclut-elle, en lui serrant la main.

Engourdi par la chaleur d’un poêle dont le tuyau zigzaguait en l’air et fuyait par un carreau de tôle substitué à l’une des vitres de la fenêtre ; détendu, en quelque sorte, par cette atmosphère lénitive que dégageaient Carhaix et cette brave femme, au visage débile mais ouvert, aux yeux apitoyés et francs, Durtal se laissa vagabonder, loin de la ville. Il se disait, regardant cette pièce intime et ces bonnes gens : si l’on pouvait, en agençant cette chambre, s’installer ici, au-dessus de Paris, un séjour balsamique et douillet, un havre tiède. Alors, on pourrait mener, seul, dans les nuages, là-haut, la réparante vie des solitudes et parfaire, pendant des années, son livre. Et puis, quel fabuleux bonheur ce serait que d’exister enfin, à l’écart du temps, et, alors que le raz de la sottise humaine