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rer ses gants et de les faire imperceptiblement claquer en les roulant ; puis il s’asseyait, croisait ses longues jambes en thyrse en se penchant tout d’un côté, à droite, retirait de sa poche gauche, collée au corps, une blague japonaise plate et gaufrée, qui contenait son papier à cigarette et son tabac.

Il était méthodique, en garde, froid comme une corde à puits devant les inconnus ; son attitude supérieure et avec cela gênée s’ajustait à ses rires blêmes et coupés courts ; il suscitait de sérieuses antipathies à première vue et il pouvait les justifier par des mots vénéneux, des mutismes méprisants, des sourires rigoureux ou narquois. Il était respecté chez les Chantelouve, il y était surtout craint, mais quand on le connaissait, on s’apercevait que, sous le verglas de cette mine, couvait une bonté réelle, une amitié peu expansive, mais capable d’un certain héroïsme, en tous cas, sûre.

Comment vivait-il ? était-il riche ou seulement à l’aise ? personne ne le savait ; et lui-même, très discret envers les autres, ne parlait jamais de ses affaires ; il était docteur de la Faculté de Paris, car Durtal avait vu, par hasard, son diplôme, mais il parlait de la médecine avec un mépris immense, avouait s’être jeté, par dégoût d’une thérapeutique vaine, dans l’homéopathie qu’il avait délaissée à son tour, pour une médecine Bolonaise qu’il dénigrait.