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Et Gilles passe, altier et sombre, dans le désert des villages singultueux et clos. L’impunité lui semble assurée, car quel paysan serait assez fou pour s’attaquer à un maître qui peut le faire patibuler au moindre mot ?

D’autre part, si les humbles renoncent à l’atteindre, ses pairs n’ont pas dessein de le combattre au profit de manants qu’ils dédaignent ; et son supérieur, le Duc de Bretagne, Jean V, le caresse et le choie, afin de lui extorquer à bas prix ses terres.

Une seule puissance pouvait se lever et, au-dessus des complicités féodales, au-dessus des intérêts humains, venger les opprimés et les faibles, l’Église. — Et ce fut elle, en effet, qui, dans la personne de Jean de Malestroit, se dressa devant le monstre et l’abattit.

Jean de Malestroit, Évêque de Nantes, appartenait à une lignée illustre. Il était proche parent de Jean V et son incomparable piété, sa sagesse assidue, sa fougueuse charité, son infaillible science, le faisaient vénérer par le Duc même.

Les sanglots des campagnes décimées par Gilles étaient venus jusqu’à lui ; en silence, il commençait une enquête, épiait le Maréchal, décidé, dès qu’il le pourrait, à commencer la lutte.

Et Gilles commit subitement un inexplicable attentat qui permit à lÉévêque de marcher droit sur lui et de le frapper.