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nageoire et coiffée d’un bourrelet de mioche. La vérité, c’est que l’exactitude est impossible, se disait-il ; comment pénétrer dans les événements du Moyen Âge, alors que personne n’est seulement à même d’expliquer les épisodes les plus récents, les dessous de la Révolution, les pilotis de la Commune, par exemple ? Il ne reste donc qu’à se fabriquer sa vision, s’imaginer avec soi-même les créatures d’un autre temps, s’incarner en elles, endosser, si l’on peut, l’apparence de leur défroque, se forger enfin, avec des détails adroitement triés, de fallacieux ensembles. C’est ce que Michelet a fait, en somme ; et bien que cette vieille énervée ait singulièrement vagabondé dans les hors-d’œuvre, s’arrêtant devant des riens, délirant doucement en des anecdotes qu’elle enflait et déclarait immenses, dès que ses accès de sentiment et ses crises de chauvinisme brouillaient la possibilité de ses présomptions, alitaient la santé de ses conjectures, elle était néanmoins la seule, en France, qui eût plané au-dessus des siècles et plongé de haut dans l’obscur défilé des vieux récits.

Hystérique et bavarde, impudente et intime, son histoire de France était cependant, à certains endroits, soulevée par le vent du large ; ses personnages vivaient, sortaient de ces limbes où les inhument les cinéraires anas de ses confrères ; peu importait dès lors que Michelet eût été le moins