Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il déjeuna de bon appétit, s’installa devant sa table et remua les matériaux épars de son livre.

J’en étais, se dit-il, en parcourant son dernier chapitre, au moment où les expériences d’alchimie, où les évocations diaboliques ratent. Prélati, Blanchet, tous les souffleurs et les sorciers qui entourent le maréchal avouent que pour amorcer Satan, il faudrait que Gilles lui cédât son âme et sa vie ou qu’il commît des crimes.

Gilles refuse d’aliéner son existence et d’abandonner son âme, mais il songe sans horreur aux meurtres. Cet homme si brave sur les champs de bataille, si courageux quand il accompagne et défend Jeanne d’Arc, tremble devant le Démon, s’apeure lorsqu’il songe à la vie éternelle, lorsqu’il pense au Christ. Et il en est de même de ses complices ; pour être assuré qu’ils ne révéleront pas les confondantes turpitudes que le château cèle, il leur fait jurer sur les Saints Évangiles le secret, certain qu’aucun d’eux n’enfreindra le serment, car, au Moyen Âge, le plus impavide des bandits n’oserait assumer l’irrémissible méfait de tromper Dieu !

Toujours est-il qu’en même temps que ses alchimistes délaissent leurs impuissants fourneaux, Gilles se livre à d’effroyables ripailles et sa chair, incendiée par les essences désordonnées des rasades et des mets, entre en éruption, bout en tumulte.