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matières ; elle sait que l’inconnu effare la raison de l’homme, que l’âme fermente dans le vide, et elle a voulu m’enfiévrer l’esprit, le démanteler, avant que de tenter, sous son vrai nom, l’attaque.

Il faut avouer qu’elle serait, si ces prévisions sont justes, étrangement roublarde. Au fond, elle est peut-être, tout bonnement, une romantique exaltée ou une comédienne ; ça l’amuse de se fabriquer de petites aventures, d’entourer d’apéritives salaisons de vulgaires plats.

Et Chantelouve, le mari ? — Durtal y songeait maintenant. Il devait surveiller sa femme dont les imprudences pouvaient faciliter ses pistes ; puis, comment faisait-elle pour venir à neuf heures du soir, alors qu’il semblait plus aisé, sous prétexte de course au Bon Marché ou de bain, de se rendre chez un amant, dans l’après-midi ou le matin ?

Cette nouvelle question demeurait sans réponse ; mais peu à peu, il ne s’interrogea même plus, car l’obsession de cette femme le jeta dans un état semblable à celui qu’il avait éprouvé, lorsqu’il hennissait si furieusement après l’inconnue qu’il s’était imaginée, en lisant des lettres.

Celle-là s’était complètement évanouie, il ne se rappelait même plus sa physionomie ; Mme Chantelouve, telle qu’elle était réellement, sans fusion, sans emprunt de traits, le tenait tout