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ce château de Tiffauges qu’il avait visité, l’an dernier, alors qu’il voulait, pour son travail, vivre dans le paysage où vécut de Rais et humer les ruines.

Il s’était installé dans le petit hameau qui s’étend au bas de l’ancien donjon et il constatait combien la légende de Barbe Bleue était restée vivace, dans ce pays isolé en Vendée, sur les confins Bretons. C’est un jeune homme qui a mal fini, disaient les jeunes femmes ; plus peureuses, les aïeules se signaient, en longeant, le soir, le pied des murs ; le souvenir des enfants égorgés persistait ; le Maréchal, connu seulement par son surnom, épouvantait encore.

Là, Durtal se rendait, tous les jours, de l’auberge où il logeait au château qui se dressait au-dessus des vallées de la Crûme et de la Sèvre, en face de collines excoriées par des blocs de granit, plantées de formidables chênes dont les racines, échappées du sol, ressemblaient à des nids effarés de grands serpents.

On se serait cru transporté dans la Bretagne même ; c’était le même ciel et la même terre ; un ciel mélancolique et grave, un soleil qui paraissait plus vieux qu’autre part et qui ne dorait plus que faiblement le deuil des forêts séculaires et la mousse âgée des grès ; une terre qui vagabondait, à perte de vue, en de stériles landes, trouées de mares d’eau rouillée, hérissées de rocs, criblées de clo-