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causes obscures, périlleuses même, et il se tenait en garde, ne s’abandonnait plus comme auparavant à la dérive.

Et pourtant un autre phénomène se passait en lui ; jamais il n’avait songé à Hyacinthe Chantelouve, jamais il n’avait été amoureux d’elle ; elle l’intéressait par le mystère de sa personne et de sa vie, mais, en somme, hors de chez elle, il n’y pensait guère. Et maintenant il se prenait à la ruminer, à la désirer presque.

Elle bénéficiait tout à coup du visage de l’inconnue et elle lui empruntait quelques-uns de ses traits, car Durtal ne l’évoquait plus que brouillée dans son souvenir, fondait sa physionomie dans celle qu’il s’était imaginée d’une autre femme.

Encore que le côté papelard et sournois du mari lui déplût, il ne la jugeait pas moins attirante, mais ses convoitises n’étaient plus lancées à fond de train ; en dépit des méfiances qu’elle suscitait, elle pouvait être une maîtresse intéressante, sauvant la hardiesse de ses vices par sa bonne grâce, mais elle n’était plus l’être inexistant, la chimère exhaussée dans un moment de trouble.

D’autre part, si ces conjectures étaient fausses, si ce n’était pas Mme  Chantelouve qui avait écrit ces lettres, alors l’autre, l’inconnue, se désaffinait un peu, par ce seul fait qu’elle avait pu s’incarner en une créature qu’il connaissait. Elle restait, tout