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s’avança devant le premier rang des religieuses.

Les voiles baissés devant les profanes, dans l’église même, étaient levés devant le Saint-Sacrement, devant Dieu. Durtal put examiner ces sœurs pendant une seconde ; sa désillusion fut d’abord complète. Il se les figurait pâles et graves comme la nonne qu’il avait entrevue dans la tribune et presque toutes étaient rouges, tachées de son, et croisaient de pauvres doigts boudinés et crevés par les engelures. Elles avaient des visages gonflés et semblaient toutes commencer ou terminer une fluxion ; elles étaient évidemment des filles de la campagne ; et les novices reconnaissables à leurs robes grises, sous le voile blanc, étaient plus vulgaire encore ; elles avaient certainement travaillé dans des fermes ; et, pourtant, à les regarder ainsi tendues vers l’autel, l’indigence de leurs faces, l’horreur de leurs mains bleuies par le froid, de leurs ongles crénelés, cuits par les lessives, disparaissaient ; les yeux humbles et chastes, prompts aux larmes de l’adoration sous les longs cils, changeaient en une pieuse simplesse la grossièreté des traits. Fondues dans la prière, elles ne voyaient même pas ses regards curieux, ne soupçonnaient même point qu’un homme était là qui les épiait.

Et Durtal enviait l’admirable sagesse de ces pauvres filles qui avaient seules compris qu’il était dément de vouloir vivre. Il se disait : l’ignorance mène au même résultat que la science. Parmi les Carmélites, il est des femmes riches et jolies qui ont vécu dans le monde et l’ont quitté, convaincues à jamais du néant de ses joies, et ces religieuses-ci, qui ne connaissent évidemment rien, ont eu l’intuition de cette vacuité qu’il a fallu des années