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à la courtisane Thaïs, alors qu’il lui cria : « Tu n’es pas digne de nommer Dieu, tu prieras seulement ainsi : « qui plasmasti me, miserere mei », toi qui m’as créée, aie pitié de moi. » Il balbutia l’humble phrase, pria, non par amour ou par contrition, mais par dégoût de lui-même, par impuissance de s’abandonner, par regret de ne pouvoir aimer. Puis il songea à réciter le Pater, s’arrêta à cette idée que cette prière était la plus difficile de toutes à prononcer, lorsqu’on en pèse au trébuchet les phrases. N’y déclare-t-on pas, en effet, à Dieu, qu’on pardonne les offenses de son prochain ? Or, combien parmi ceux qui profèrent ces mots pardonnent aux autres ? Combien parmi les catholiques qui ne mentent point, lorsqu’ils affirment à Celui qui sait tout qu’ils sont sans haine ?

Il fut tiré de ses réflexions par le silence subit de la salle. Les vêpres étaient terminées ; l’harmonium préluda encore et toutes les voix des nonnes s’élevèrent, en bas, dans le chœur, en haut dans la tribune, chantant le vieux Noël : « Il est né le divin enfant ».

Il écoutait, ému par la naïveté de ce cantique et, soudain, en une minute, brutalement, sans y rien comprendre, la posture de petites filles à genoux sur leurs chaises, devant lui, lui suscita d’infâmes souvenirs.

Il se rebiffa, dégoûté, voulut repousser l’assaut de ces hontes et elles persistèrent. Une femme, dont les perversions l’affolaient, revint le trouver là.

Il revit, sous les chemisettes de dentelles et de soie, renfler les chairs ; ses mains tremblèrent et, fiévreusement, elles ouvrirent les abjectes et les délicieuses cassolettes de cette fille.