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Et l’oblat remonta dans sa cellule, pendant que Durtal se dirigeait vers le grand étang. Là il se coucha sur une litière de roseaux secs, regardant ces eaux qui venaient se briser, en ondulant, à ses pieds. Le va-et-vient de ces eaux limitées, repliées sur elles-mêmes, ne dépassant plus le bassin qu’elles s’étaient creusé, l’entraîna dans de longues rêveries.

Il se disait qu’un fleuve était le plus exact symbole de la vie active ; on le suivait dès sa naissance, sur tout son parcours, au travers des territoires qu’il fécondait : il remplissait une tâche assignée, avant que d’aller mourir, en s’immergeant, dans le sépulcre béant des mers ; mais l’étang, cette eau hospitalisée, emprisonnée dans une haie de roseaux qu’il avait lui-même grandis, en fertilisant le sol de ses bords, il se concentrait, vivait sur lui-même, ne semblait s’acquitter d’aucune œuvre connue, sinon d’observer le silence et de réfléchir à l’infini le ciel.

L’eau sédentaire m’ inquiète, continuait Durtal. Il me semble que, ne pouvant s’étendre, elle s’enfonce et que là où les eaux courantes empruntent seulement le reflet des choses qui s’y mirent, elle les engloutisse, sans les rendre. C’est à coup sûr, dans cet étang, une absorption continue et profonde de nuages oubliés, d’arbres perdus, de sensations même saisies sur le visage des moines qui s’y penchèrent. Cette eau est pleine et non pas vide comme celles qui se distraient, en voguant dans les campagnes, en baignant les villes. C’est une eau contemplative en parfait accord avec la vie recueillie des cloîtres.

Le fait est, conclut-il, qu’une rivière n’aurait, ici, aucun sens ; elle ne serait que de passage, resterait in-