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pas eu de chemin de Damas, pas d’événements qui déterminent une crise ; il n’est rien survenu et l’on se réveille un beau matin, et sans que l’on sache ni comment, ni pourquoi, c’est fait.

Oui, mais cette manœuvre ressemble fort, en somme, à celle de cette mine qui n’éclate qu’après avoir été profondément creusée. Eh ! Non, car, dans ce cas, les opérations sont sensibles ; les objections qui embarrassaient la route sont résolues ; j’aurais pu raisonner, suivre la marche de l’étincelle le long du fil et, ici, pas. J’ai sauté à l’improviste, sans avoir été prévenu, sans même m’être douté que j’étais si studieusement sapé. Et ce n’est pas davantage le coup de foudre, à moins que je n’admette un coup de foudre qui serait occulte et taciturne, bizarre et doux. Et ce serait encore faux, car ce bouleversement brusque de l’âme vient presque toujours à la suite d’un malheur ou d’un crime, d’un acte enfin que l’on connaît.

Non, la seule chose qui me semble sûre, c’est qu’il y a eu, dans mon cas, prémotion divine, grâce.

Mais, fit-il, alors la psychologie de la conversion serait nulle ? Et il se répondit :

Ça m’en a tout l’air, car je cherche vainement à me retracer les étapes par lesquelles j’ai passé ; sans doute, je peux relever sur la route parcourue, çà et là, quelques bornes : l’amour de l’art, l’hérédité, l’ennui de vivre ; je peux même me rappeler des sensations oubliées d’enfance, des cheminements souterrains d’idées suscitées par mes stations dans les églises ; mais ce que je ne puis faire, c’est relier ces fils, les grouper en faisceau ; ce que je ne puis comprendre, c’est la soudaine et la silencieuse