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appela d’un regard précipité l’oblat qui vint s’asseoir auprès de lui.

— Qui est-ce ?

— C’est Dom Anselme, l’abbé du monastère.

— Celui qui était malade ?

— Oui, c’est lui qui va nous communier.

Durtal tomba à genoux, suffoqué, presque tremblant : il ne rêvait pas ! le Ciel lui répondait par le signe qu’il avait fixé !

Il eût dû s’abîmer devant Dieu, s’écraser à ses pieds, s’épandre en une fougue de gratitude ; il le savait et il le voulait ; et, sans qu’il sût comment, il s’ingéniait à chercher des causes naturelles qui pussent justifier cette substitution d’un moine au prêtre.

C’est, sans doute, très simple ; car enfin, avant d’admettre une sorte de miracle… au reste, j’en aurai le cœur net, car je veux, après la cérémonie, tirer cette aventure au clair.

Et il se révolta contre les insinuations qui se glissaient en lui. Eh ! quel intérêt pouvait présenter le motif de ce changement ; il en fallait évidemment un ; mais celui-là n’était qu’une conséquence, qu’un accessoire ; l’important c’était la volonté surnaturelle qui l’avait fait naître. Dans tous les cas, tu as obtenu plus que tu n’avais demandé ; tu as même mieux que le simple moine que tu désirais, tu as l’abbé même de la Trappe ! Et il se cria : O croire, croire comme ces pauvres convers, ne pas être nanti d’une âme qui vole ainsi à tous les vents ; avoir la Foi enfantine, la Foi immobile, l’indéracinable Foi ! ah ! Père, Père, enfoncez-la, rivez-la en moi !