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pouvoir tenir en place et dansaient avec la lueur de la bougie, enfila les corridors, souffla et déposa son lumignon près de l’auditoire et s’élança dehors.

Il faisait nuit noire ; à la hauteur d’un premier étage, un œil de bœuf ouvert dans le mur de l’église trouait les ténèbres d’une lune rouge.

Durtal tira quelques bouffées d’une cigarette, puis il s’achemina vers la chapelle. Il tourna doucement le loquet de la porte ; le vestibule où il pénétrait était sombre, mais la rotonde, bien qu’elle fût vide, était illuminée par de nombreuses lampes.

Il fit un pas, se signa et recula, car il venait de heurter un corps ; il regarda à ses pieds.

Il entrait sur un champ de bataille.

Par terre, des formes humaines étaient couchées dans des attitudes de combattants fauchés par la mitraille ; les unes à plat ventre, les autres à genoux ; celles-ci, affaissées les mains par terre, comme frappées dans le dos, celles-là étendues les doigts crispés sur la poitrine, celles-là encore se tenant la tête ou tendant les bras.

Et, de ce groupe d’agonisants, ne s’élevaient aucun gémissement, aucune plainte.

Durtal contemplait, stupéfié, ce massacre de moines ; et il resta soudain bouche béante. Une écharpe de lumière tombait d’une lampe que le père sacristain venait de déplacer dans la rotonde et, traversant le porche, elle éclairait un moine à genoux devant l’autel voué à la Vierge.

C’était un vieillard de plus de quatre-vingts ans ; il était immobile ainsi qu’une statue, les yeux fixes, penché dans un tel élan d’adoration que toutes les figures