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ciales des hontes, les états particuliers des transes, les âges différents des pleurs.

À la fin, alors que mêlées encore et confondues, ces voix avaient charrié, sur les grandes eaux de l’orgue, toutes les épaves des douleurs humaines, toutes les bouées des prières et des larmes, elles retombaient exténuées, paralysées par l’épouvante, gémissaient en des soupirs d’enfant qui se cache la face, balbutiaient le « Dona eis requiem », terminaient, épuisées, par un amen si plaintif qu’il expirait ainsi qu’une haleine, au dessus des sanglots de l’orgue.

Quel homme avait pu imaginer de telles désespérances, rêver à de tels désastres ? Et Durtal se répondait : personne.

Le fait est que l’on s’était vainement ingénié à découvrir l’auteur de cette musique et de cette prose. On les avait attribuées à Frangipani, à Thomas de Celano, à saint Bernard, à un tas d’autres, et elles demeuraient anonymes, simplement formées par les alluvions douloureuses des temps. Le « Dies iræ » semblait être tout d’abord tombé, ainsi qu’une semence de désolation, dans les âmes éperdues du XIe siècle ; il y avait germé, puis lentement poussé, nourri par la sève des angoisses, arrosé par la pluie des larmes. Il avait été enfin taillé lorsqu’il avait paru mûr et il avait été trop ébranché peut-être, car dans l’un des premiers textes que l’on connaît, une strophe, depuis disparue, évoquait la magnifique et barbare image de la terre qui tournait en crachant des flammes, tandis que les constellations volaient en éclats, que le ciel se ployait en deux comme un livre !

Tout cela n’empêche, conclut Durtal, que ces tercets