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d’ailleurs ; ce moule n’a été fabriqué que pour les gens qui sont incapables de s’occuper et de se guider eux-mêmes. Cela vous explique comment, pour les empêcher de demeurer oisifs, on a en quelque sorte décalqué le bréviaire du prêtre et imaginé de leur distribuer le temps en petites tranches, de leur faire débiter, par exemple, les psaumes des Matines à des heures qui ne comportent aucun psaume.

Le dîner était terminé ; M. Bruno récita les grâces et dit à Durtal :

— Vous avez, d’ici à Complies, une vingtaine de minutes libres ; profitez-en pour faire connaissance avec le jardin et les bois. — Et il salua poliment et il sortit.

Ce que je fumerais bien une cigarette, pensa Durtal, lorsqu’il fut seul. Il prit son chapeau et quitta, lui aussi, la pièce. La nuit tombait. Il traversa la grande cour, tourna à droite, longea une maisonnette surmontée d’un long tuyau, devina à l’odeur qu’elle exhalait une fabrique de chocolat et il s’engagea dans une allée d’arbres.

Le ciel était si peu clair qu’il ne pouvait discerner l’ensemble du bois où il entrait ; n’apercevant personne. Il roula des cigarettes, les fuma lentement, délicieusement, consultant, à la lueur de ses allumettes, de temps en temps, sa montre.

Il restait étonné du silence qui se levait de cette Trappe ; pas une rumeur, même effacée, même lointaine, sinon, à certains moments, un bruit très doux de rames ; il se dirigea du côté d’où venait ce bruit et reconnut une pièce d’eau sur laquelle voguait un cygne qui vint aussitôt à lui.