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qu’à leurs plaisirs ou à leurs affaires se doutaient où, moi, je vais ! pensa-t-il.

Puis il se reprocha la stupidité de ces réflexions et, une fois installé dans son compartiment où il eut la chance d’être seul, il alluma une cigarette, se disant : profitons du temps qui nous reste pour en fumer ; et il se mit à vagabonder, à rêvasser dans les parages des cloîtres, à rôder dans les alentours de la Trappe.

Il se rappelait qu’une revue avait jadis évalué à deux cent mille, pour la France, le nombre des religieuses et des moines.

Deux cent mille personnes qui, dans une semblable époque, ont compris la scélératesse de la lutte pour la vie, l’immondice des accouplements, l’horreur des gésines, c’est, en somme, l’honneur du pays sauf, se dit-il.

Puis, sautant des âmes conventuelles aux bouquins qu’il avait rangés dans sa malle, il reprit : c’est tout de même curieux de voir combien le tempérament de l’art français est rebelle à la Mystique !

Tous les écrivains surélevés sont étrangers. Saint Denys l’Aréopagite est un grec ; Eckhart, Tauler, Suso, la sœur Emmerich sont des allemands ; Ruysbroeck est originaire des Flandres ; sainte Térèse, saint Jean de la Croix, Marie d’Agréda sont espagnols ; le père Faber est anglais ; saint Bonaventure, Angèle de Foligno, Madeleine de Pazzi, Catherine de Gênes, Jacques de Voragine, sont italiens…

Tiens, fit-il, surpris par ce dernier nom qu’il venait de citer, j’aurais dû emporter sa « Légende Dorée » dans ma valise ; comment n’y ai-je pas pensé, car enfin cette œuvre était le livre de chevet du Moyen Age, le stimu-