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se rappelait à sa mémoire. Ce n’est pas la première fois que pareil fait m’arrive, rumina-t-il, j’ai déjà subi, seul, dans les églises, des conseils inattendus, des ordres muets, et il faut avouer que c’est vraiment atterrant de sentir cette infusion d’un être invisible en soi, et de savoir qu’il peut presque vous exproprier, s’il lui plaît, du domaine de votre personne.

Eh non, ce n’est point cela ; il n’y a point substitution d’une volonté extérieure à la sienne, car l’on conserve absolument intact son franc-arbitre ; ce n’est pas davantage une de ces impulsions irrésistibles qu’endurent certains malades, puisque rien n’est plus facile que d’y résister et c’est moins encore une suggestion puisqu’il ne s’agit, dans ce cas, ni de passes magnétiques, ni de somnambulisme provoqué, ni d’hypnose ; non, c’est l’irrésistible entrée d’une velléité étrangère en soi ; c’est la soudaine intrusion d’un désir net et discret, et c’est une poussée d’âme tout à la fois ferme et douce. Ah ! je suis encore inexact, je bafouille, mais rien ne peut rendre cette attentive pression qu’un mouvement d’impatience ferait évanouir ; on le sent et c’est inexprimable !

Toujours est-il que l’on écoute avec surprise, presque avec angoisse cette induction, qui n’emprunte pour se faire entendre aucune voix même intérieure, qui se formule sans l’assistance des mots — et tout s’efface, le souffle qui vous pénétra disparaît. L’on voudrait que cette incitation vous fût confirmée, que le phénomène se renouvelât pour l’observer de plus près, pour tenter de l’analyser, de la comprendre, et c’est fini ; vous restez seul avec vous-même, vous êtes libre de ne pas obéir,