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les grands ordres ; elle est absolue, sans réticences ; la formule en a été excellemment résumée par saint Augustin. Ecoutez cette phrase que je me rappelle avoir lue dans un commentaire de sa règle :

« On doit entrer dans les sentiments d’une bête de charge et se laisser conduire comme un cheval et un mulet qui n’ont point d’entendement ou plutôt, afin que l’obéissance soit encore plus parfaite, parce que ces animaux regimbent sous l’éperon, il faut être, entre les mains du supérieur, comme une bûche et un tronc d’arbre qui n’a ni vie, ni mouvement, ni action, ni volonté, ni jugement. » Est-ce clair ?

— C’est surtout effarant ! — J’admets bien, reprit Durtal, qu’en échange de tant d’abnégation, les religieuses sont Là-Haut puissamment aidées, mais enfin n’y a-t-il pas des moments de défaillance, des accès de désespoir, des instants où elles regrettent l’existence naturelle au plein air, où elles pleurent cette vie de mortes qu’elles se sont faite ; n’y a-t-il pas enfin des jours où les sens réveillés crient ?

— Sans doute ; dans la vie en clôture, l’âge de vingt-neuf ans est, pour la plupart, à passer, terrible ; car c’est alors que la crise passionnelle surgit ; si la femme franchit ce cap — et presque toujours elle le franchit — elle est sauvée.

Mais la sédition charnelle n’est pas encore, à proprement parler, l’assaut le plus douloureux qu’elles supportent. Le véritable supplice qu’elles endurent, dans ces heures de trouble, c’est le regret ardent, fou, de cette maternité qu’elles ignorent ; les entrailles délaissées de la femme se révoltent et si plein qu’il soit de