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pour citer une femme alors, prenons sainte Angèle de Foligno, moins dans le livre de ses Visions qui demeure parfois inerte, que dans la merveilleuse vie qu’elle dicta au frère Armand, son confesseur. Elle aussi explique, et bien avant sainte Térèse, les principes et les effets de la mystique, mais si elle est moins profonde, moins habile à fixer les nuances en revanche, quelles effusions et quelles tendresses ! quelle chatte caressante d’âme ! quelle Bacchante de l’amour divin, quelle Ménade de pureté ! Le Christ l’aime, l’entretient longuement et ses paroles qu’elle a retenues, dépassent toute littérature, s’affirment comme les plus belles qu’on ait écrites. Ce n’est plus le Christ farouche, le Christ espagnol qui commence par fouler sa créature pour l’assouplir, c’est le Christ si miséricordieux des Évangiles, c’est le Christ si doux de saint François, et j’aime mieux le Christ des Franciscains que celui des Carmes !

— Que diriez-vous alors, reprit en souriant l’abbé, de saint Jean de la Croix ? Vous compariez tout à l’heure sainte Térèse à une fleur forgée de fer ; lui aussi en est une, mais il est le lys des tortures, la royale fleur que les bourreaux imprimaient jadis sur les chairs héraldiques des forçats. De même que le fer rouge, il est à la fois ardent et sombre. À certains tournants de pages, sainte Térèse se penche sur nos misères et nous plaint ; lui, demeure imperméable, terré dans son abîme interne, occupé surtout à décrire les peines de l’âme qui, après avoir crucifié ses appétits, passe par « la Nuit obscure », c’est-à-dire par le renoncement de tout ce qui vient du sensible et du créé.

Il veut que l’on éteigne son imagination, qu’on la