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gigote ! répondit la tante Norine qui paraissait sans enthousiasme pour cette façon civilisée de boire.

— Ici, c’est pas souvent comme ailleurs, reprit le vieux d’un ton docte. On ne les laisse pas téter ; on en perd plus, mais comme ça, ils ne suivent pas leur mère et ils ne broutent pas.

Il se mit à rire. — Tu te rappelles, Norine, le père Martin, le fruitier — qu’est là, à Jutigny, pour manger son bien, ajouta-t-il, en se tournant vers Jacques — il se croyait ben malin parce qu’il revenait de Paris ; il comptait pas que le veau s’engraisse seulement avec du lait. Il me disait : Eh l’ancien ! pourquoi donc que t’y mets une cage d’osier au museau de ton veau ? et il ricassait quand j’y disais : « Mais c’est, mon homme, pour qu’il ne mange pas de la verdure ! »

Eh ben ! quand il a eu un veau qu’il a mené au marché de Bray, Achille lui a dit, en soulevant la paupière de son veau qu’était rouge : « Mais c’est un bon républicain que t’amènes là, n’en faut point », et tous les autres bouchers lui ont dit de même ; et il l’a encore son veau qui mangeait de l’herbe !

— Alors, demanda Jacques, il faut que le veau soit anémié, complètement déprimé, pour qu’il se vende ?