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lampe rabattue sur la table par un abat-jour, la famille est assise. La mère est une brave femme, le père caissier dans une maison de commerce ou dans une banque, l’enfant tout jeune encore, récemment libéré des coqueluches et des gourmes, maté par la menace d’être privé de dessert, le mioche a enfin consenti à ne pas tapoter sa soupe avec une cuiller, à manger sa viande avec un peu de pain.

Il regarde, immobile, ses parents recueillis et muets. La bonne entre, apporte une crème aux ptomaïnes. Le matin, la mère a respectueusement tiré du secrétaire Empire, en acajou, orné d’une serrure en trèfle, la fiole bouchée à l’émeri qui contient le précieux liquide extrait des viscères décomposés de l’aïeul. Avec un compte-gouttes, elle-même a instillé quelques larmes de ce parfum qui aromatise maintenant la crème.

Les yeux de l’enfant brillent ; mais il doit, en attendant qu’on le serve, écouter les éloges du vieillard qui lui a peut-être légué avec certains traits de physionomie, ce goût posthume de rose dont il va se repaître.

— Ah ! c’était un homme de sens rassis, un homme franc du collier et sage, que grand-papa Jules ! Il était venu en sabots à Paris et il avait toujours mis de côté, alors même qu’il ne gagnait que cent francs par mois. Ce n’est pas lui qui eût