Page:Huysmans - En rade.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Si ferme, si vaillant qu’il soit, nul n’échappe à ces mystérieuses velléités qui cernent de loin le désir, le couvent, l’élèvent, le cachent dans les latrines les plus dissimulées de l’âme.

Et ces impulsions irraisonnées, morbides, sourdes, ces simulacres de tentation, ces suggestions diaboliques, pour parler comme les croyants, naissent surtout chez les malheureux dont la vie est démâtée, car c’est le propre de l’angoisse que de s’acharner sur les âmes élevées qu’elle abat, en leur insinuant des germes de pensées infâmes.

Honteux et attendris, Louise et Jacques se regardaient sans parler.

— Mon pauvre ami, dit enfin Louise, tu dois avoir faim et je ne puis me lever et allumer le feu. Vois donc s’il ne reste pas de la viande d’hier ; la petite de Savin va venir, d’ailleurs. Ah ! si je pouvais bouger !

— Ne te fais pas de mauvais sang en t’occupant de moi ; tiens, voilà du veau, du pain et du vin, je n’ai pas besoin de plus.

Il approcha la table du lit et, sans grand appétit, s’escrima contre du veau fade et du pain dur.

Des pas montaient l’escalier. — C’est l’enfant, dit Louise qui se mit sur son séant ; donne-lui la liste des provisions à acheter, elle est là, dans le coin, sur la cheminée.