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le sou, ma fille, mais ça ne fait rien ; si l’on te chasse, tu viendras ici et t’auras, en attendant, le vivre et la niche.

Soudain une nouvelle idée lui germa dans la cervelle.

— Tiens mais... comme tu n’es pas très débrouillarde, si demain c’était moi qui parlais à ta place au grand-pêre de Jules ; peut-être qu’en le raisonnant j’obtiendrais qu’il t’indemnise.

Sophie accepta avec empressement.

— Ah ! madame Champagne, que vous êtes donc bonne, fit-elle, en l’embrassant ; moi toute seule, je ne m’en serais jamais tirée.

Ce fut dans la sombreur de sa détresse un jet de lumière. Persuadée de la haute intelligence de la papetière, convaincue de sa parfaite éducation, elle n’hésitait pas à croire que sa présence lui serait préventive et propice ; elle se rendait justice à elle-même, s’avouait peu compréhensive, peu adroite. Quand elle avait quitté son pays, un petit village près de Beauvais, elle ne savait rien, n’avait reçu aucune éducation de ses père et mère qui la rouaient simplement de coups. Son histoire était des plus banales. Traquée par le fils d’un riche fermier et lâchée aussitôt après le carnage saignant d’un viol, elle avait été à moitié assommée par son père qui lui reprochait de n’avoir pas su se faire épouser ; elle s’était enfuie et s’était placée, en qualité de