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L’OUVERTURE DE TANNHÆUSER

de la nature matérielle de l’être, allégorie du Mal en lutte avec le Bien, symbole de notre enfer intérieur opposé à notre ciel interne, nous ramène d’un bond en arrière à travers les siècles, à l’imperméable grandeur d’un poème symbolique de Prudence, ce vivant Tannhæuser qui, après des années dédiées au stupre, s’arracha des bras de la victorieuse Démone pour se réfugier dans la pénitente adoration de la Vierge.

Il semble en effet que la Vénus du musicien soit la descendante de la Luxuria du poète, de la blanche Belluaire, macérée de parfums, qui écrase ses victimes sous le coup d’énervantes fleurs ; il semble que la Vénus wagnérienne attire et capte comme la plus dangereuse des déités de Prudence, celle dont cet écrivain n’écrit qu’en tremblant le nom : Sodomita Libido.

Mais bien qu’elle rappelle par son concept les allégoriques entités du Moyen Âge, elle apporte en sus un piment moderne, insinue un courant intellectuel de raffinement dans cette masse de sauvages voluptés qui coulent : elle ajoute, en quelque sorte, des sensations exaspérées au naïf canevas des anciens temps, assure plus certainement enfin, par cette exaltation d’une acuité nerveuse, la défaite du héros, subitement initié aux lascives complications de cervelle de l’époque épuisée où nous sommes.

Et l’âme de Tannhæuser fléchit, et son corps