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WISTHLER

ces lestes et profonds accords ; c’était de la peinture réaliste, toute intime, mais s’éployant déjà dans l’au-delà du rêve.

Presque en même temps, à l’exposition internationale de la rue de Sèze, il exhibe ses toiles fameuses à Londres, ses paysages de songes, son délicieux « Nocturne en argent et bleu, » où monte dans l’azur une ville bâtie sur une rive ; son « Nocturne en noir et or, » où des feux d’artifice crèvent de baguettes sanglantes et parsèment d’étoiles les ténèbres d’une épaisse nuit ; enfin, son « Nocturne en bleu et or, » représentant une vue de la Tamise au-dessus de laquelle, dans une féerique brume, une lune d’or éclaire de ses pâles rayons l’indistincte forme des vaisseaux endormis à l’ancre.

Invinciblement, l’on songeait aux visions de Quincey, à ces fuites de rivières, à ces rêves fluides que détermine l’opium. Dans leur cadre d’or blême, vermicellés de bleu turquoise et piquetés d’argent, ces sites d’atmosphère et d’eau s’étendaient à l’infini, suggéraient des dodinements de pensées, transportaient sur des véhicules magiques dans des temps irrévolus, dans des limbes. C’était loin de la vie moderne, loin de