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CERTAINS

ter rebiffe et alors les tons s’épaississent, le dessin inachevé erre et chancelle. Homme étrange, incomplet presque toujours, rageur et languide, superbe quand sa fièvre flambe, cabotin et vieux mélo quand elle charbonne, il a été un tétanique puissant contre le coma de l’art, une strychnine électrisant le vieux julep prescrit par les recettes teinturières du grand art. En somme, il a infusé, à défaut de santé, dans la peinture de son temps, une bravoure acculée, un fluide nerveux, une force intermittente de colère, une pulsation d’amour ; en somme, il a commencé à ramoner, avant Manet, et à éclaircir le cul de four des toiles ; il a prononcé le rejet des anciennes ombres noires ou bistre et les a fait dériver de la couleur même de l’objet qui les donne ; il a ouvert la voie aux impressionnistes du temps présent. En dépit des lointains qui semblent séparer le peintre de la barque du Dante des peintres de la modernité contemporaine, il leur a laissé les traces héréditaires d’un puissant aïeul. L’un des promoteurs de la nouvelle formule, M. Cézanne, descend même directement de lui et c’est à son école que M. Degas doit cette science des couleurs qu’il manie en maître