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CERTAINS

toile la plus personnelle, peut-être la plus parfaite.

Pour la première fois, une entrée de vainqueurs dans une ville qu’on met à sac, n’est pas ordonnée dans une tempête de hourras, dans des triomphes de fanfares, dans des salves d’apothéose. Ici, les Croisés arrivent, exténués, presque mourants ; les chevaliers s’affaissent sur leurs selles et leurs yeux rentrés, comme vernis par la fièvre, voient à peine les vaincus que leurs chevaux piétinent. Un écrasement de fatigues immenses ravine leurs faces et creuse leurs bouches qui divaguent, maintenant que le succès amène la détente du système nerveux exaspéré par tant d’efforts. Et cependant, sur ces physionomies dont la lassitude est telle qu’aucune autre expression ne semblerait plus devoir en altérer les traits, des fumées de sentiments passent, une férocité non éteinte encore chez quelques-uns, une vague pitié chez d’autres qui regardent un banal vieillard agenouillé, tenant dans ses bras sa femme et criant grâce. Ce triomphe si mélancolique et si vrai est en même temps qu’un délice spirituel, un régal des yeux. C’est une des pages les plus nettes du peintre,