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MILLET

de couleurs dominent vraiment et pressent.

Là où il était hésitant et lourd, il s’affirme délibéré, quasi leste ; ses figures mêmes se décrassent dans la poudre de ses crayons, deviennent moins emphatiques et plus vives et la comparaison est facile à établir, car les mêmes sujets sont souvent traités des deux manières. La « Gardeuse de moutons » tricotant devant un troupeau qu’un chien garde est, peinte au jus de lin, une image de première communion, une illustration nigaude et veule. Crayonnée au pastel, elle s’épure de son gnian-gnian coquet et fade et avoisine le réel ; puis les alentours se modifient. Ce marc de café qui la soutenait dans le tableau s’est changé en de la véritable terre, le firmament s’est élargi, l’air circule, les bêtes pantèlent, car un souffle de vie anime les groupes et frémit presque sous le bonnet rouge et la capuche de la fille.

Si l’on récupère les dissemblances dont j’ai parlé, l’on arrive à coordonner en un tout étrange cette œuvre jadis tant dénigrée et maintenant si démesurément vantée. On découvre en l’homme un rustre qui ne l’est plus assez ou qui l’est trop encore ; dans le peintre, un pesant toilier,