Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le fauteuil, tandis que, debout, emplissant la fenêtre, il soufflait, brandissant au bout de son davier, une dent bleue où pendait du rouge !

Anéanti, des Esseintes avait dégobillé du sang plein une cuvette, refusé, d’un geste, à la vieille femme qui rentrait, l’offrande de son chicot qu’elle s’apprêtait à envelopper dans un journal et il avait fui, payant deux francs, lançant, à son tour, des crachats sanglants sur les marches, et il s’était retrouvé, dans la rue, joyeux, rajeuni de dix ans, s’intéressant aux moindres choses.

— Brou ! fit-il, attristé par l’assaut de ces souvenirs. Il se leva pour rompre l’horrible charme de cette vision et, revenu dans la vie présente, il s’inquiéta de la tortue.

Elle ne bougeait toujours point, il la palpa ; elle était morte. Sans doute habituée à une existence sédentaire, à une humble vie passée sous sa pauvre carapace, elle n’avait pu supporter le luxe éblouissant qu’on lui imposait, la rutilante chape dont on l’avait vêtue, les pierreries dont on lui avait pavé le dos, comme un ciboire.