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au temps où les dentistes travaillaient dans sa gencive.

Une fois lancé sur cette piste, sa rêverie, d’abord éparse sur tous les praticiens qu’il avait connus, se rassembla et convergea sur l’un d’entre eux dont l’excentrique rappel s’était plus particulièrement gravé dans sa mémoire.

Il y avait de cela, trois années ; pris, au milieu d’une nuit, d’une abominable rage de dents, il se tamponnait la joue, butait contre les meubles, arpentait, semblable à un fou, sa chambre.

C’était une molaire déjà plombée ; aucune guérison n’était possible ; la clef seule des dentistes pouvait remédier au mal. Il attendait, tout enfiévré, le jour, résolu à supporter les plus atroces des opérations, pourvu qu’elles missent fin à ses souffrances.

Tout en se tenant la mâchoire, il se demandait comment faire. Les dentistes qui le soignaient étaient de riches négociants qu’on ne voyait point à sa guise ; il fallait convenir avec eux de visites, d’heures de rendez-vous. C’est inacceptable, je ne puis différer plus longtemps, disait-il ; il se décida à aller chez le premier venu, à courir chez un quenottier du peuple, un de ces gens à poigne de fer qui, s’ils ignorent l’art bien inutile d’ailleurs de panser les caries et d’obturer les trous, savent extirper, avec une rapidité sans pareille, les chicots les plus tenaces ; chez ceux-là, c’est ouvert au petit jour et l’on n’attend pas. Sept heures sonnèrent enfin. Il se précipita hors de chez lui,