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Une fois rapportée de chez le praticien qui la prit en pension, la bête fulgura comme un soleil, rayonna sur le tapis dont les teintes repoussées fléchirent, avec des irradiations de pavois wisigoth aux squames imbriquées par un artiste d’un goût barbare.

Des Esseintes fut tout d’abord enchanté de cet effet ; puis il pensa que ce gigantesque bijou n’était qu’ébauché, qu’il ne serait vraiment complet qu’après qu’il aurait été incrusté de pierres rares.

Il choisit dans une collection japonaise un dessin représentant un essaim de fleurs partant en fusées d’une mince tige, l’emporta chez un joaillier, esquissa une bordure qui enfermait ce bouquet dans un cadre ovale, et il fit savoir, au lapidaire stupéfié que les feuilles, que les pétales de chacune de ces fleurs, seraient exécutés en pierreries et montés dans l’écaille même de la bête.

Le choix des pierres l’arrêta ; le diamant est devenu singulièrement commun depuis que tous les commerçants en portent au petit doigt ; les émeraudes et les rubis de l’Orient sont moins avilis, lancent de rutilantes flammes, mais ils rappellent par trop ces yeux verts et rouges de certains omnibus qui arborent des fanaux de ces deux couleurs, le long des tempes ; quant aux topazes, brûlées ou crues, ce sont des pierres à bon marché, chères à la petite bourgeoisie qui veut serrer des écrins dans une armoire à glace ; d’un autre côté, bien que l’Église ait conservé à l’améthyste un caractère sacerdotal, tout à la fois onctueux et grave, cette pierre