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comptes ; il s’arrangea, enfin, de façon à ne pas être souvent obligé de leur parler ou de les voir.

Néanmoins, comme la femme devait quelquefois longer la maison pour atteindre un hangar où était remisé le bois, il voulut que son ombre, lorsqu’elle traversait les carreaux de ses fenêtres, ne fût pas hostile, et il lui fit fabriquer un costume en faille flamande, avec bonnet blanc et large capuchon, baissé, noir, tel qu’en portent encore, à Gand, les femmes du béguinage. L’ombre de cette coiffe passant devant lui, dans le crépuscule, lui donnait la sensation d’un cloître, lui rappelait ces muets et dévots villages, ces quartiers morts, enfermés et enfouis dans le coin d’une active et vivante ville.

Il régla aussi les heures immuables des repas ; ils étaient d’ailleurs peu compliqués et très succincts, les défaillances de son estomac ne lui permettant plus d’absorber des mets variés ou lourds.

À cinq heures, l’hiver, après la chute du jour, il déjeunait légèrement de deux œufs à la coque, de rôties et de thé ; puis il dînait vers les onze heures ; buvait du café, quelquefois du thé et du vin, pendant la nuit ; picorait une petite dînette, sur les cinq heures du matin, avant de se mettre au lit.

Il prenait ces repas, dont l’ordonnance et le menu étaient, une fois pour toutes, fixés à chaque commencement de saison, sur une table, au milieu d’une petite pièce, séparée de son cabinet de travail par un corridor