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se reconnaissait à peine ; la figure était couleur de terre, les lèvres boursouflées et sèches, la langue ridée, la peau rugueuse ; ses cheveux et sa barbe que le domestique n’avait plus taillés depuis la maladie, ajoutaient encore à l’horreur de la face creuse, des yeux agrandis et liquoreux qui brûlaient d’un éclat fébrile dans cette tête de squelette, hérissée de poils. Plus que sa faiblesse, que ses vomissements incoercibles qui rejetaient tout essai de nourriture, plus que ce marasme où il plongeait, ce changement de visage l’effraya. Il se crut perdu ; puis, dans l’accablement qui l’écrasa, une énergie d’homme acculé le mit sur son séant, lui donna la force d’écrire une lettre à son médecin de Paris et de commander au domestique de partir à l’instant à sa recherche et de le ramener, coûte que coûte, le jour même.

Subitement, il passa de l’abandon le plus complet au plus fortifiant espoir ; ce médecin était un spécialiste célèbre, un docteur renommé pour ses cures des maladies nerveuses : « il doit avoir guéri des cas plus têtus et plus périlleux que les miens, se disait des Esseintes ; à coup sûr, je serai sur pied, dans quelques jours » ; puis, à cette confiance, un désenchantement absolu succédait ; si savants, si intuitifs qu’ils puissent être, les médecins ne connaissent rien aux névroses, dont ils ignorent jusqu’aux origines. De même que les autres, celui-là lui prescrirait l’éternel oxyde de zinc et la quinine, le bromure de potassium et la valériane ; qui sait,